Thèse soutenue par Raina Chaussoy et dirigée par le Professeur Tamatoa Bambridge pour la Polynésie Française et Marie-Rose Moro.
Composition du jury
Yoram MOUCHENIK, Professeur à l’Université Paris 13? (Président)
Marion FELDMAN, Professeur à l’Université de Nanterre (Rapporteur)
Patrice GODIN, Maître de conférences à Université de Nouvelle-Calédonie (Rapporteur)
Daniel DERIVOIS, Professeur à l’Université de Dijon
Adriano FAVOLE, Professeur à l’Université de Turin
Marie-Rose MORO, Professeur à l’Université Paris XIII (Directrice de recherche)
Tamatoa BAMBRIDGE, Directeur de recherche au CNRS (co-Directeur de recherche)
Résumé de la thèse
L’histoire coloniale a placé l’échange entre les cultures dans des rapports inégalitaires de force, avec une communauté dominante et des communautés dominées. Cette histoire est marquée par une vision racialiste et évolutioniste qui situe les sujets à des degrés différents dans l’échelle de l’humanité ou de la civilisation. C’est dans ce contexte précis que la notion de métissage apparait : elle énonce l’hybridation de deux catégories qui contiennent par elles-mêmes des présupposés biologiques et culturels : l’indigène et le colon européen.
Dans ce contexte historique, certains sujets sont parfois placés dans une situation particulière : leurs points communs sont d’une part une origine métissée dans un environnement colonial où deux communautés sont en tensions conflictuelles et, d’autre part, la culture qui a prévalu dans leur éducation est celle qui est dominée sur le plan de la société.
C’est dire que le sujet identifié comme métis porte en lui une tension propre à cette histoire collective : c’est bien pour la société que sa catégorisation est éminemment problématique et c’est bien lui dont l’identité est posée comme duale qui est menacé dans sa construction et ses appartenances. Il fait ainsi l’expérience d’une double discrimination : comme membre d’une communauté autochtone mais aussi comme métis au sein de sa propre communauté.
Pour s’en tenir aux collectivités océaniennes, il peut s’assigner deux objectifs différents : soit une réussite personnelle par l’intégration à la culture dominante, soit l’affirmation de son appartenance à la culture dominée par sa capacité de résistance. Nous nous intéresserons ici aux parcours parallèles de trois sujets appartenant à des Collectivités différentes : un tahitien, un futunien et un kanak.
Le concept de résilience en psychologie, notamment grâce à Boris Cyrulnik, a presque pénétré le vocabulaire courant. On qualifie assez vite de résiliente, une personne dont la réussite sociale et personnelle triomphe des handicaps d’un passé douloureux et traumatisant ou d’une adversité chronique. C’est précisément des discriminations sociales et des fragilités de l’appartenance, que semblent avoir triomphées les trois personnes dont l’itinéraire de vie est présenté. Pour toutes les trois l’intégration a été réussie. Ce triomphe toutefois peut être l’amorce d’une fracture au plus intime de la conscience du sujet, la première étape visible
d’un processus névrotique. Ce paradoxe n’en est pas un quand la situation historique soumet quelques sujets à une injonction paradoxale et fait d’eux des émigrés chez eux.
S’il a le sentiment d’être infériorisé au sein de sa communauté culturelle, l’enfant métis cherche parfois une reconnaissance sociale par le moyen d’une réussite dans la culture dominante. Ce faisant il rompt non seulement avec sa culture originelle mais aussi avec les figures identificatoires qui l’ont construit. Sa réussite est une trahison, elle précède la fracture et l’effondrement.
C’est pourquoi le détour par la culture dominante fait partie d’une dynamique différée de la reconnaissance. Le Soi social ne devient acceptable au sujet métis qu’au prix d’une surenchère militante dans l’appartenance : vulnérable dans la culture dominée du fait de son statut fragile, il en devient le héro dans la culture dominante. A la plasticité nécessitée pour s’adapter aux exigences institutionnelles et académiques de l’espace européen succèdent les rigidités d’une posture identitaire. Cette seconde réussite procède d’un clivage au plus intime du sujet : c’est toute une partie de la parentèle et de soi qui est reniée. Une nouvelle fois la résilience apparente masque la poursuite, voire l’accentuation de symptômes névrotiques : somatisation, violence auto ou hétéro agressive, dépression, addictions…
Le parcours ne sera vraiment résilient que si le sujet peut trouver une troisième phase où l’assise sociale ne se paiera pas par un déni et une fracture intérieure. Pour autant, aussi longtemps que les clivages sociaux et politiques entrent en résonance avec la sphère privée et familiale, une sortie du processus névrotique restera difficile : comment répondre à la question qui suis-je ? sous l’injonction : choisis ton camp !